Nous quittons Bangkok avec nos visas iraniens en main et une grosse incertitude sur ce que sera la suite du voyage. Une banlieue grisâtre et étouffante, bondée, jusqu'à ce que le paysage enfin se transforme, le vert revient, puis les rizières fluos et des floppées d'oiseaux blancs… yes, on respire !
Nous arrivons à proximité du parc national de Khao Yai avec l'idée de faire une vidange (qui ne se fera pas, pb de clé :) et nous tombons sur un dôme blanc qui sort de la canopée au pied de la montagne. Le taj mahal thaï... Ou pas loin ! Une découverte improbable et qui surgit comme dans un songe… un palais-temple d'un blanc immaculé, encore en construction et entouré de bassins encore à sec, qui héberge des bouddhas de bronze, laissant apparaître la montagne et la forêt luxuriante tout autour, nimbé d'une brume de chaleur humide. Voyager, c'est aussi se laisser prendre par des découvertes comme celles-ci qu'un heureux hasard met sur notre route.
Après réflexion et quelques échanges avec des promeneurs le lendemain, nous arriverons à la conclusion que cet endroit en devenir sera bientôt un lieu de villégiature de luxe pour de riches thaïlandais de Bangkok en mal de verdure et de sérénité. A priori les environs du parc sont en pleine transformation depuis 5 ans, des resorts poussant de droite et de gauche.
1er jour dans le parc : éblouis par une jungle luxuriante et la forêt sempervirente (nous sommes au-delà des 1000 m et la fraîcheur de l'air l'atteste, c'est bon) et ses chênes si particuliers, et contre toute attente, nous avons également eu droit à un festival d'animaux... Et bam un éléphant, au loin dans la rivière, et bim, un crocodile (de taille franchement impressionnante!) en train de se dorer au soleil sur la rive d'en face (derrière un panneau "no swimming crocodiles", comme pour l'illustrer !), et wizz des sambars, ces grands cervidés qui approchent volontiers l'homme ; un oiseau bleu et rouge de toute beauuuuuté, un couple de hornbills (calaos ?) dans les arbres… Cette profusion d'animaux sauvages inquiète particulièrement Pénélope qui essaie de faire la différence entre la jungle (on y est bel et bien) et le zoo, les animaux en liberté et en captivité, et surtout évaluer un danger qu'elle sent tangible… Elle nous abreuve de questions un peu obsédantes !
Nous passerons une nuit plutôt amusante au milieu de centaines de touristes thaïs qui ont investi avec leurs tentes toutes les portions de pelouse autour d'un parking, même les terre-pleins, qui dinent à la bougie ou à la lampe torche au rythme de barbecues - tout sauf improvisés - sur leurs nattes colorées et s'avèreront d'un calme et d'un respect de la nature impressionnants.
Le réveil se fait entre 4 et 5h du mat, au son de cris de singes lancinants, de bruits de grognements obscurs. Le lendemain, ce seront des barrissements tonitruants qui nous sortiront du lit.
On est sur pied vers 7h30 pour une première balade en pleine jungle, bercés par les chants envoûtants des oiseaux dont on imagine les plumages somptueux… L'humidité est palpable partout. Nous avons froid avant que le soleil ne réchauffe l'air… Nous restons ébahis du contraste entre la foule de personnes présente sur le site (nous étions samedi soir) et la sensation d'être absolument seuls au monde lorsque nous prenons les sentiers de randonnée. Nous n'avons croisé âme qui vive qu'à la tour d'observation des animaux. Dans la jungle personne… On ne se l'explique toujours pas.
Nous croiserons un nombre incalculable de processions de fourmis de toutes tailles et couleurs, d'oiseaux bleu-verts chatoyants, de lézards type Rango, de "nids" d'éléphants et de crottes fraîches (c'est sûr il y a de la vie la dedans !!), d'odeurs animales puissantes qui nous font regarder partout autour de nous pour essayer de déceler la bête qui a laissé ainsi son odeur et qui ne doit pas être si loin…
Un bruit de coups sur un tronc d'arbre nous arrête ; on repère l'oiseau vert -splendide- à l'origine de ce bruit, puis un autre oiseau me passe au-dessus de la tête et nous le suivons (oiseau bleu et noir au bec rouge flamboyant, comme un gros martin pêcheur un peu). Manu et Erika à l'arrêt : "vous avez entendu? - Non. - Un grognement… un gros animal…" Suivi d'un jappement strident que nous entendons tous. Oufff c'est saisissant. Un gros chien sauvage ? Un ours ? Puis des barrissements qui se succèdent (ça c'est identifié) et que nous ne situons pas, un hurlement (non identifié), barrissement encore et un rugissement tonitruant… Eh bien on ne fait pas les fiers, d'autant que nous vivons tout cela à l'aveugle, noyés dans cette végétation junglesque, aucune idée des distances qui nous séparent de la scène qui est en train de se jouer… On n'a pas vraiment le décodeur pour savoir ce qu'il se passe !
L'expérience est géniale, on continue à avancer après avoir été pétrifiés qqs minutes, peu sûrs de nous, mais comme revigorés par cette expérience inédite. Ils sont là les vrais animaux, autour de nous et tout ceci vit bel et bien ! C'est ce dont nous avions envie… et puis la frustration de ne pas les avoir vus est franchement contrebalancée par la trouille de les voir surgir devant nous, éléphants, ours, léopards, porcs épiques… dans leur milieu naturel.
Bilan du soir à ajouter au tableau de chasse de jour : depuis la tour d'observation, 2 éléphants (l'un de loin, venant au lac, l'autre sur notre chemin du retour à 10 m de nous, by night…), 1 troupeau de gaurs, 1 ours noir ou un sanglier (franchement, on ne saura jamais), 1 varan maousse dans l'eau, des porcs épiques qui viennent squatter sous le camion pendant que l'on dine de nuit.
Le lendemain, un festival d'oiseaux qui s'échappent devant nous sous la vibration de nos pas de danseurs classiques : des faisans asiatiques - pas légers les oiseaux !, des hornbills géants au plumage noir et jaune, bruyants tel une voile qui fasseille par grand vent - leur vol est impressionnant à voir du dessous !- et au cri rauque, les sirènes des arbres (cf. vidéo audio, vous comprendrez la métaphore) et toujours sous adrénaline face à la menace omniprésente de l'éléphant qui habite avec pertes et fracas cette jungle préservée (végétaux aplatis, crottes gigantesques et fraîches, empreintes idem, odeurs persistantes qui nous font inspecter les environs à 360°C avec une certaine appréhension)...
Quel bonheur de faire partie de ce monde animal et de profiter de cette luxuriance, de se sentir tout petit, de ne réagir qu'à l'instinct, d'avoir peur et de ressentir une excitation d'enfant en sursautant à un bruit de feuille, un cri ou en découvrant un autre animal qui surgit d'un feuillage, de mettre tous ses sens en éveil !…
Nous quittons à regret cette zone savamment préservée des envies des Hommes après 3 nuits, 3 jours et avoir sillonné tous les sentiers à notre disposition !